Un “ça suffit!” qui sauve

Pour la rubrique : “Voix de Nous Autres AICS”

par Martina Palazzo

“Tout m’a toujours été interdit, que ce soit dans mon enfance ou à l’âge adulte. Mon rôle était d’obéir et de me taire.” C’est ainsi qui commence l’histoire d’Asma (nom fictif), une femme d’une quarantaine d’années, mère de trois mineurs, victime de violences et d’abus perpétrés au fil des ans, qui ont éteint tout rêve et annulé toute ambition en herbe. Elle vit dans un village d’à peine 600 habitants dans une zone côtière du sud de la Tunisie, où la pêche nourrit ses familles et où les transports vers la grande ville, Zarzis, à une demi-heure de route, sont rares.

Asma est une femme qui s’est retrouvée seule, sans abri et avec trois enfants à sa charge lorsqu’elle a décidé de divorcer en 2016. La société lui a tourné le dos sans aucun droit d’appel. Sa famille l’a battue et l’a dénigrée verbalement. “Une femme analphabète comme toi ne peut pas se permettre de prendre des décisions. Rentre chez toi et sois patient. Respecte ton mari et reste à ta place”, a été le verdict final du père. Rien de différent des mots qu’elle récoltait amèrement chaque fois qu’elle franchissait le seuil de ses parents avec les signes de la violence, tant physique que morale, se lisant sur son visage et emprisonnés dans ses yeux. Même dans l’intimité du couple, elle était traitée comme un animal, comme un chien au service d’un maître qui manquait d’amour, d’affection et de respect. Pourtant, Asma a tenu bon pendant 15 ans, anéantie, violée et maltraitée entre les murs de cette maison prison. Trois grossesses plus tard, elle a décidé de dire ” ça suffit ! “. “Lorsque j’ai entendu le cri de mon troisième enfant qui venait de sortir de mon ventre, j’ai su que je devais y mettre un terme. Je devais protéger mes enfants et leur assurer un avenir de rêve. Je n’étais plus responsable seulement de ma vie, nous étions quatre”, dit Asma d’une voix étranglée.

Le bébé avait tout juste un mois quand Asma s’est rendue au centre polyvalent de Nejmet Tounes, mis en place par le CIHEAM dans le cadre du projet régional GEMAISA, financé par l’Agence Italienne pour la Coopération au Développement (AICS). Une voisine lui avait conseillé de participer à l’une des sessions d’information, de sensibilisation, de formation et d’orientation destinées aux femmes pour faciliter leur accés au monde du travail. Asma ne cherchait pas d’emploi, mais un espace où elle pourrait se libérer de son fardeau. C’est là qu’elle a décidé de tout avouer et de se confesser. C’est là qu’elle a trouvé des personnes qui ont écouté son histoire. Parmi les oreilles attentives, il y avait celles de Samia Mtimet, la responsable du projet et du centre. Depuis 2016, elle accueille les femmes de Zarzis et des alentours qui ont besoin d’une assistance professionnelle, technique, psychologique et juridique. Samia, grâce à une formation ad hoc dispensée par l’association LeNove, écoute en toute confidentialité, enregistre les données et indique ensuite l’entité la plus appropriée pour donner suite à la demande.

“Même pendant la pandémie de covid-19, nous avons assuré la continuité de nos services par téléphone. Il est important pour ces femmes de savoir qu’il y a toujours quelqu’un de disponible et prêt à les écouter”, révèle Samia. Rien n’est plus vrai si l’on considère l’impact du confinement, décrété par le gouvernement à titre de mesure préventive contre la propagation du coronavirus, sur les femmes. Du 22 mars au 3 mai 2020, la ligne d’assistance téléphonique mise en place par le Ministère de la Femme a reçu plus de 7000 signalements de violences faites aux femmes. Au cours de la même période, la pandémie a souvent empêché les victimes de bénéfecier des services de justice, menaçant leur sécurité physique et psychologique. Bien que la loi tunisienne n° 58 de 2017 représente un outil juridique pour éliminer la violence basée sur le genre, le nombre de femmes victimes d’actes de violence domestique et familiale est en augmentation.

 

“Les problèmes les plus récurrents auxquels les femmes sont confrontées sont liés aux divorces difficiles, aux questions d’héritage et de terres, aux abus de pouvoir sur le lieu de travail et à la violence”, explique Tijania Jelliti, une juriste de Zarzis qui travaille bénévolement au bureau juridique de Nejmet Tounes. C’est elle qui a suivi légalement Asma de 2016 à septembre 2021, date à laquelle le tribunal a finalement cloturé l’affaire, lui reconnaissant le droit de reprendre possession de sa maison et de recevoir une pension alimentaire mensuelle de son mari pour elle et ses enfants.

En Tunisie, il existe un cadre législatif qui reconnaît et protège les droits des femmes, mais beaucoup n’y font pas appel parce qu’elles n’en connaissent pas l’existence. Elles ne défendent pas leurs droits parce qu’ils ne savent pas qu’elles en ont“, conclut-elle.

Aujourd’hui Asma travaille et ne vit plus dans le silence et le déni. “Quand je me regarde dans le miroir, je vois encore une enfant qui a beaucoup de rêves à réaliser”, nous dit-elle avec un sourire presque furtif. Elle a trouvé d’autres femmes sur son chemin de libération et de réaffirmation personnelle. Malgré la répudiation de sa communauté d’origine, encore imprégnée de préjugés et de coutumes injustes, Asma a réussi à trouver sa force dans sa descendance, dans ce qu’elle appelle “l’expansion de mon être”. Elle veut devenir un modèle pour eux, un exemple de courage et de force, car les objectifs ne peuvent être rêvés ni atteints que grâce à un sens aigu de l’autodétermination.

“Aujourd’hui, je raconte mon histoire pour que ça soit une source d’inspiration pour de nombreuses femmes qui subissent des violences. Ayez le courage de dénoncer pour commencer à vivre.”

                 

GEMAISA est un projet régional financé par l’Agence Italienne pour la Coopération au Développement (AICS) et mis en œuvre par le CIHEAM dans six pays de la Méditerranée (Maroc, Tunisie, Égypte, Jordanie, Liban et Palestine). Structuré en deux phases et terminé en septembre 2021, le projet vise à améliorer les moyens de subsistance des femmes rurales en augmentant leur participation aux chaînes d’approvisionnement agroalimentaires locales et en contribuant au renforcement des capacités des ministères de l’agriculture en matière d’intégration de la dimension du genre dans leurs politiques, stratégies et programmes. Le but ultime de toutes les activités est d’initier une action collective pour le changement de comportement et l’inclusion socio-économique des femmes.

L’Agence soutient la campagne «16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre» pour prévenir et éliminer la violence à l’égard des femmes et des filles. #OrangetheWorld